10 questions à Michèle Matteau
Crédit photo : studio G.R.Martin, Ottawa
Michèle Matteau est née et a étudié d’abord au Québec. Elle a mené de front une carrière d’éducatrice et de communicatrice. Elle a vécu en France, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse avant de s’établir à Ottawa en 1985. Romancière, dramaturge et poète, elle a publié depuis 2000 une douzaine de livres dont plusieurs ont été couronnés de prix littéraires. Son plus récent roman Entre ici et là-bas, publié en 2019 aux éditions David, a été finaliste au Prix Champlain.
Elle a partagé avec nous quelques secrets de ses créations.
Sur la création
1. Vous avez entendu l’appel à l’écriture dans votre enfance. Parlez-nous des circonstances dans lesquelles vous avez commencé à écrire.
Mon père était enseignant et journaliste. Ma mère prenait à la dictée les élans littéraires de mon père, relisait quelques phrases à haute voix, suggérait parfois un changement, s’émerveillait souvent. Très jeune, j’ai vu ainsi naître des chroniques, des articles, des histoires. Mes parents travaillaient avec les mots, s’amusaient avec eux, leur donnaient puissance ou légèreté et se laissaient émouvoir par leur magie. Un soir en particulier, j’ai assisté à la naissance d’un texte poétique. J’étais ravie. J’ai voulu en faire autant… Modestement. Je n’ai jamais arrêté depuis. J’avais 9 ans.
2. Quels domaines nourrissent vos projets littéraires?
Tous les sujets qui intéressent l’humain m’intéressent. Je me vois comme une observatrice des individus et de la société. Le plus souvent, un personnage s’impose à mon imaginaire et cristallise une histoire. Je n’écris pas sur moi, mais sur ce qui m’entoure. Je témoigne.
3. Vous pratiquez différentes formes d’écriture (recueil de poésie, de nouvelles, pièce de théâtre et romans). Quel genre littéraire vous définit le mieux?
Tous et chacun. Je choisis la forme en fonction du sujet. Quelle forme me permet de mieux exprimer le sujet qui agite ma créativité ? Quelle forme aura le plus d’impact ? Laquelle aidera le lecteur ou la lectrice à mieux vivre l’histoire, à la faire sienne et l’invitera à s’ouvrir sur de nouveaux horizons. Si un personnage peut faire le lien entre lectorat et auteure, ce sera une nouvelle ou un roman. Si les personnages agissent en direct, ce sera une pièce de théâtre. Si l’auteure désire se révéler, en toute pudeur, alors la poésie lui permettra de se confier « entre les mots ».
Sur l’œuvre
4. Vous racontez dans Entre ici et là-bas le parcours de Ganaëlle, une adolescente d’origine africaine qui vit au Canada avec ses parents. Vous excellez à rendre palpable ce déchirement né de la transition entre le pays natal et celui d’adoption. Pouvez-vous nous parler de la nécessité que vous éprouvez à représenter de vraies expériences humaines?
Je dis souvent que ce qui importe dans un roman ce n’est pas la vérité qu’on croit liée exclusivement au vécu, mais la vraisemblance. La vérité est souvent très subjective et devient facilement mensonge ! Quand j’utilise JE comme narrateur, JE n’est pas nécessairement moi… C’est une création mise au point avec des reflets de vraies personnes dont un trait ou plusieurs m’ont frappée. Mais je reconnais que l’auteure se cache toujours un peu derrière ses personnages.
5. L’histoire de Ganaëlle fait penser à tant d’autres histoires de l’immersion dans la culture canadienne. Quelle est la part documentaire de ce roman?
Ce roman fait suite à une aventure humaine et littéraire marquante pour moi : l’écriture d’une pièce de théâtre écrite avec Esther Beauchemin et soutenue par un travail de plusieurs mois avec des immigrants de tous âges, et de plusieurs coins du monde. Plusieurs facettes de l’adaptation à un nouveau pays avaient été couvertes alors. Mais les circonstances n’avaient pas permis de développer le point de vue des ados, ceux et celles qui n’avaient en rien participé à la décision de quitter le pays d’origine et qui se retrouvaient ailleurs avec des parents qui, dans les remous de la vie, n’étaient plus tout à fait les mêmes. Donc, ce qui est dit dans le roman a été réellement vécu, mais par plusieurs personnes devenues des personnages, donc comme Ganaëlle.
6. Quels sont les événements qui vous ont inspiré les thèmes que vous abordez dans la populaire trilogie À ta santé la vie !? Rappelons les titres qui la composent : Cognac et porto, Café crème whisky, Un doigt de brandy dans un verre de lait chaud.
La vie et les changements sociaux des années 1970! J’admire les femmes qui dans ces années-là ont connu la montée du féminisme à un âge où leurs vies étaient déjà largement engagées dans des structures traditionnelles. Elles n’avaient que peu de soutien autour d’elles. Elles ont dû se faire pionnières et tracer les sentiers tortueux pour accéder à cette société naissante. Il fallait adapter, innover, inventer.
7. Née au Québec, vous avez vécu en Colombie-Britannique, en Nouvelle-Écosse et vous demeurez actuellement en Ontario. Quel est le rapport entre l’espace et la création selon vous?
Chaque lieu apporte un nouveau regard sur ce qui nous entoure. On découvre de nouvelles manières d’appréhender la vie, la communauté, etc. Chaque lieu a son rythme, sa lumière et agit différemment sur les humains. On doit rentrer en contact avec son identité profonde pour rester soi-même dans un nouvel environnement et s’ajuster avec ouverture.
8. Quel thème avez-vous exploité dans votre seconde trilogie, Villery?
Les personnages font face à la mort dans Du chaos pour une étoile, Avant que ne tombe la nuit, Le long hiver du jardinier 03. Toutes sortes de morts : la fermeture d’un village, la fin d’un amour, la perte d’un travail, l’étiolement de sa santé, l’éloignement d’êtres chers. Et, à chacune de ces morts, la survie exige un travail d’adaptation qui, comme les lieux, forge l’individu, précise sa personnalité et lui fait découvrir une force ignorée peut-être jusque-là.
Sur la francophonie en Ontario
9. Vous êtes d’origine québécoise, mais vous acceptez volontiers l'appellation d'auteure franco-ontarienne. Pourriez-vous caractériser en quelques mots la culture franco-ontarienne?
On aurait tort de limiter son identité à un territoire. L’identité d’un être est multiple et toujours en changement et en évolution. Elle découle de ses expériences, personnelles et professionnelles ainsi que de rencontres marquantes. Occuper un lieu, participer à son essor culturel, se mouler aux exigences d’une situation, tout cela enrichit une identité. Je participe donc, depuis plus de 35 ans maintenant, à la vie franco-ontarienne. Je me nourris aussi. C’est une culture en pleine effervescence, dont l’identité se précise, évolue et devient de plus en plus riche, car inclusive.
10. Vous considérez-vous comme une écrivaine engagée?
Si s’engager veut dire observer, réfléchir sur le développement de la société dans laquelle on s’est immergée, témoigner et passer à l’action de manière efficace, OUI.
D’ailleurs vivre, c’est s’engager.
Biographie de Michèle Matteau
Détentrice d’un baccalauréat en éducation et d’un baccalauréat ès arts de l’Université de Montréal, Michèle a poursuivi des études de psychologie à Strasbourg et obtenu une maîtrise en psychologie de l’éducation à Halifax. Elle a conceptualisé et mis sur pied les Éditions Jeunesse de l’Agence canadienne de développement international, travaillé à la recherche pour des émissions de télévision et à l’écriture de scénarios pour des producteurs de documentaires. De 2000 à 2015, elle a travaillé à l’élaboration de matériel pédagogique pour des institutions culturelles et éducatives. Elle a participé activement à la vie culturelle de l’Ontario français entre autres comme présidente de l’Association des auteurs et auteures de l’Ontario français et membre du conseil d’administration du Théâtre de la Vieille 17. Elle donne des ateliers littéraires, conseille des cinéastes à certaines étapes de leurs projets et accompagne des écrivains dans leur cheminement artistique.