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7 questions à Zachary Richard

Crédit photo: Sasha Bourque

Introduction

Francophone militant, écologiste engagé, auteur-compositeur et poète, Zachary Richard est un chanteur mondialement connu. Il est également l’auteur de contes, de recueils de poésie et d’un essai : L’histoire des Acadiennes et Acadiens de la Louisiane. Sa plus récente œuvre, publiée aux Éditions Libre Expression en 2023, Les rafales du carême, est un événement fort important dans la littérature francophone des Amériques. Il s’agit du premier roman en langue française publié par un auteur de la Louisiane depuis 129 ans!

Zachary Richard nous parle de ses créations littéraires, de la survie du français en Louisiane et de la nécessité de transmettre l'héritage francophone à d’autres générations.

Sur votre roman

1. Quelle est la genèse du roman Les rafales du carême?

L’histoire est inspirée d’un fait divers réel qui s’est passé à la fin du 19e siècle.  Deux jeunes Français, engagés sur la ferme de mon arrière-arrière-grand-père, ont dérobé un marchand du village et ont fini par l’assassiner.  On en parlait encore plus d’un siècle plus tard.  Ayant entendu cette histoire toute ma vie, elle a fini par creuser un trou dans mon imaginaire par lequel je suis passé pour créer ce récit.  C’est pourtant de la fiction, mais le portail d’entrée est un fait divers réel. 

2. Qui est le véritable héros de l’histoire, est-ce André Boudreaux et sa famille ?

Le héros ou plutôt l’héroïne est Marie Boudreaux, 16 ans.  Dans cette société patriarcale, une jeune femme n’est pas sensée d’être dotée de pouvoir.  Mais c’est Marie, grâce à sa capacité de pardonner, qui surmonte son défi et arrive à imposer sa volonté, contre celle du patriarche, son grand-père et le poids des préjugés de la communauté.  Elle arrive à réconcilier des adversaires implacables et même de rassembler sa famille déchirée.

3. On rencontre plusieurs personnages féminins, fortes et déterminées dans cette œuvre. Parlez-nous de l’importance de la femme dans la culture acadienne (ou cajun?).

Ce roman est un hommage à la force des femmes dans la société cadienne.  Les personnages les plus fortes sont des femmes : Philomène dit Minouche, Virginie Mouton, Marie Agélas, et Marie Boudreaux.   Ma petite jeunesse était passée dans la maison de mon grand-père où il y avait une chambre occupée par la succursale de la bibliothèque de la paroisse (compté).  Ma tante Iris était la bibliothécaire.  Je passais mes journées entouré de livres et de femmes : mes tantes, ma mère, ma grand-mère.  Sans tomber dans l’hyperbole, ce sont les femmes qui servaient de col dans cette société de macho.  

Sur la création

4. Vous êtes poète et auteur de multiples chansons à succès. On retrouve votre style, vos images métaphoriques et comparaisons saisissantes dans Les rafales du carême. Quel était le plus grand défi à surmonter lors de l’écriture de cet ouvrage de 400 pages?

Le plus grand défi de ce projet était de pouvoir trouver le temps pour écouter la voix du roman jusqu’à ce qu’il ait cessé de me parler. J’ai tenté de l’écrire à plusieurs reprises, remplissant des douzaines de cahiers que j’ai fini par jeter.  Chaque fois que je partais en tournée, ce qui m’arrive encore assez souvent, je perdais la trame. Au retour à l’écriture, j’ai été déçu par ce que je retrouvais et je recommençais de nouveau.  Grâce à la Covid et à la pause professionnelle imposée par la pandémie, j’ai pu me consacrer à l’écriture d’une façon constante.  L’écriture n’est pas un passe-temps, mais une vocation.  Il faut s’y consacrer complètement, sinon ça ne vaut pas la peine. 

5. Quelles sont les empreintes de l’Histoire dans vos recueils de poésie?

Dans ma poésie, il y a deux tendances qui correspondent à mes deux influences principales.  Il y a un aspect qu’on peut traiter grossièrement comme un caractère « Zen ».  Influencé surtout par Gary Snyder et par les poètes japonais, Matsuo Basho, Yakamochi, Henyo, Soshi et j’en passe, je tente d’exprimer l’inexprimable et de provoquer un moment d’éveil prévu par le « kiri » (mot qui coupe) de l’haiku.  De l’autre côté de la médaille, ma poésie est nourrie par les poètes contestataires comme Pablo Neruda, mais surtout les Beats : Allen Ginsburg, Gregory Corso, Lawrence Ferlinghetti et Denise Levertov.  Cette partie de ma poésie dérive de la situation du français en Amérique du Nord et surtout en milieu minoritaire.  La verité peut te faire du mal, Louis, Frenchie, Les Français d’Amérique, etc. sont des poèmes de révolte contre le statut de deuxième zone dans lequel toutes les communautés francophones en Amérique se débattent. 

Je suis historien de formation (diplômé cum laude, Université Tulane, 1972) et un passionné de l’histoire.  Dans ma poésie j’exprime une réalité historique qui est le mépris dont souffre les communautés francophones en Amérique face à la majorité Anglo-Américaine et le détriment à la culture francophone qui en suive.  Mais c’est surtout à travers le roman que j’ai pu faire courir mes fantasmes historiques à bride abattu.  Ce qui est intéressant pour moi dans l’Histoire est de pouvoir imaginer l’expérience des gens. L’Histoire n’est pas une suite de dates détachée des émotions, mais un portail qui permet mieux comprendre comment les gens ont vécu.

Sur la francophonie

6. Vous êtes de toute évidence un poète engagé à l’égard de la culture francophone en Amérique du Nord. Quelles sont les différentes formes de votre engagement?

À part de chanter, écrire et parler en français, je suis fier surtout de ma collaboration avec les écoles et les programmes d’immersion en Louisiane.  Nous avons réussi à produire un album de chansons composées avec les étudiants : J’ai une chanson dans mon cœur. Anna Laura Edmiston (surtout) et moi avons visité les classes pour composer avec les étudiants. Ainsi que deux vidéos mettant en vedette les étudiants J’ai une chanson dans mon cœur et La belle vie. C’est la base d’un patrimoine virtuel qui témoigne de la richesse culturelle de la francophonie louisianaise et qui servira d’inspiration pour d’autres projets semblables. La communauté francophone de Louisiane a besoin de se manifester publiquement pour se valoriser. L’expression musicale est le conduit culturel favorisé (Les étoiles d’immersion au festival International, 2017), mais il faut développer d’autres aspects de la culture et surtout la littérature.

7. Quels sont les aspects de l'héritage francophone en Louisiane les moins connus selon vous?

La littérature louisianaise a connu une période de gloire au 19e siècle.  Les écrits d’Alfred Mercier, d’Alcée Fortier et surtout de Sidonie de la Houssaye, parmi d’autres, témoignent d’un héritage littéraire important.  Mais sous la pression de l’assimilation Anglo-Américaine, ce riche héritage fut occulté par le temps.  Ironiquement ce sont les petits-enfants des Cadiens analphabètes, qui, maintenant alphabétisés, sont en train de créer une nouvelle littérature louisianaise.  L’assimilation du début du 20e siècle a décapité la communauté francophone.  Les Franco-Créoles de l’élite louisianaise furent les premiers à abandonner la langue française tandis ce que les Cadiens et Créoles Noirs, les petits habitants, ont continuaient à le parler. C’est l’isolement économique, sociale et culturel des francophones marginalisés qui a assuré la survie du français en Louisiane.  Maintenant leurs petits enfants, dont j’ai la fierté d’en faire partie, sont en train de se réapproprier ce riche héritage  (https://www.editionstintamarre.com).

Biographie 

L’auteur-compositeur le plus américain des francophones, et le plus francophone des Américaines et Américains a été nommé administrateur du Centre de la francophonie des Amériques par le gouvernement du Québec, au poste de personne provenant de l’extérieur du Canada en 2008. Zachary Richard a participé à la fondation du Centre et a occupé le poste d’administrateur jusqu’en mars 2022. Il a reçu le titre de membre honoraire du Centre de la francophonie des Amériques pour sa contribution exceptionnelle au rayonnement de la francophonie des Amériques pendant 14 années. Pour connaître la carrière de l’artiste, consultez son site officiel.

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