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10 questions à Nathan Rabalais

Sur le français et l’identité en Louisiane

1. Vous résidez en Louisiane et vous écrivez des poèmes en français, vous tournez des films documentaires en français et vous donnez des cours d’écriture avancée, de création littéraire, des séminaires sur la francophonie nord-américaine au College of William and Mary en Virginie. Bref vous vivez et travaillez en français aux États-Unis! Où avez-vous appris le français?

J’ai appris le français en deux temps. Premièrement, j’ai appris les mots et l’accent de ma grand-mère qui parlait le français comme langue maternelle. Puis, après mes études de musique à l’Université de Louisiane à Lafayette, j’ai appris à lire, écrire et parler le français standard pendant l’été de 2007 avec une tutrice martiniquaise. J’avais obtenu une bourse qui me permettait de poursuivre ma maîtrise à Strasbourg en France, donc j’étais très motivé!


2. Quelle est cette langue française en Louisiane? Qu’est-ce qui la caractérise? Quels sont ses emprunts aux autres langues?

Il existe plusieurs langues en Louisiane, le français louisianais, le créole louisianais et même les vestiges des communautés hispanophones dans la paroisse Saint-Bernard et germanophones dans la paroisse Acadie. Le français n’est pas très différent du français dit « standard », mais il a son propre accent et bien sûr quelques emprunts des langues autochtones (notamment pour la flore et la faune) et de l’anglais (pour les notions ou technologies plus récentes).


3. Quel est le rapport entre le français et l’identité en Louisiane?

C’est très compliqué. Je pense que pour la grande majorité des personnes qui se considèrent Cadiens (ou Cajuns en anglais), ce n’est pas un critère d’appartenance nécessaire à cette identité. Pour d’autres, la langue est primordiale. Mais je pense que les Créoles et les Cadiens d’aujourd’hui considèrent que cet héritage linguistique fait partie de leur identité (même si eux-mêmes ne parlent pas le français ou le créole).


4. Que vous inspire le mot « francophonie »? 

Pour moi, la francophonie représente les liens avec d’autres communautés francophones qui se trouvent très loin peut-être, mais avec qui on partage des enjeux, des ambitions et aspects culturels très similaires. C’est très important de maintenir ces liens entre francophones!


Sur la création et la lecture

5. Quels sont les liens entre la langue et la création poétique?

Même si je suis bilingue, je n’arrive pas à écrire de la poésie en anglais. J’ai essayé plusieurs fois et ça s’est très mal passé! J’écris dans un français très « louisianais » avec beaucoup de mots de chez nous. Cela dit, j’écris rarement sur la langue elle-même. Je suis plutôt inspiré par mes expériences personnelles et les gens autour de moi. Mais j’exprime ces sentiments dans un français qui reflète mes origines.


6. Quels sont les auteurs qui vous ont marqué?

Les auteurs qui m’ont le plus marqué sont Jacques Prévert, Hermann Hesse, François Rabelais et Samuel Beckett. Prévert m’a inspiré surtout dans mon style d’écriture en poésie. Comme lui, je me sers beaucoup des jeux de mots et d’une simplicité qui cachent la profondeur.


7. Quels auteurs francophones conseillez-vous à nos lecteurs de la Bibliothèque des Amériques?

Il y en a tellement! J’ai hâte d’en découvrir beaucoup plus, mais je peux déjà suggérer Fredric Gary Comeau, David Cheramie et Georgette LeBlanc.


Sur la poésie

8. Votre recueil de poésie est intitulé Le Hantage: un ouvrage de souvenance. Ce terme employé par Christine de Pisan, poétesse française au 15e siècle, dans le sens de « fréquentation » est-il toujours en usage en Louisiane?

C’est une histoire un peu drôle! J’avais toujours conçu ce livre comme un ensemble, avec un ordre précis et de vrais chapitres qui représentent chacun une étape dans le processus de travailler les souvenirs difficiles. Et je savais dès le début que je voulais l’intituler Le Hantage. Dans ma tête, il n’y avait pas de doute que le mot existait encore en Louisiane, mais après avoir vérifié, je ne l’ai trouvé nulle part! Mais, oui, c’est tout à fait le même sens qu’on retrouve chez de Pisan. Les souvenirs nous fréquentent un peu comme des vagues (ou des gouttes, ou même des inondations).


9. Quels sont les mots riches en images et en réminiscences qui vous sont chers dans votre recueil de poèmes? Pourriez-vous donner quelques exemples?

J’adore utiliser des mots moins connus et leur donner une nouvelle vie dans mes poèmes. C’est une langue si riche et j’ai peur que nous soyons en train de perdre des mots vraiment fantastiques. Par exemple, oubliance (j’ai écrit un poème sur la mort de mon père qui s’appelle « Une belle oubliance ») et vernailler (errer).


10. Vous considérez-vous comme un poète engagé ?

Oui, de façon indirecte, peut-être. Participer régulièrement aux lectures de poésie en français avec d’autres poètes louisianais, je trouve que c’est une forme d’engagement. Sinon, j’essaie de parler de plus en plus des enjeux actuels qui nous touchent, comme l’environnement et l’érosion côtière.


Biographie de Nathan Rabalais

Originaire de Eunice en Louisiane, Nathan Rabalais est professeur et chercheur en Études françaises et francophones au College of William and Mary en Virginie, aux États-Unis. Nathan a joint la faculté après avoir soutenu sa thèse sur la tradition orale franco-louisianaise en 2015 en cotutelle avec l’Université Tulane (Nouvelle-Orléans) et l’Université de Poitiers (France). Il enseigne régulièrement des cours d’écriture avancée, la création littéraire, des séminaires sur la francophonie nord-américaine ainsi que des séminaires interdisciplinaires. Sa recherche porte principalement sur l’intersection de la langue et de l’identité en Amérique du Nord francophone.


L’évolution des étiquettes culturelles cadienne et créole en Louisiane fait objet d’une série d’articles ainsi qu’un film documentaire Finding Cajun (2018). Son recueil de poésie Le Hantage: un ouvrage de souvenance (2018) est publié aux éditions Tintamarre. Actuellement en congé de recherche grâce à une bourse fédérale de la National Endowment for the Humanities, il réside en Louisiane où il fait de la recherche sur le terrain dans le cadre de son nouveau projet de livre, Folklore Figures of French and Creole Louisiana.  


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