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10 questions à Marie-Andrée Gill

Crédit photo: Sophie Gagnon-Bergeron

Sur la création et la lecture

1 - Julien Green dit que le poète est un enfant qui s’émerveille et s’étonne devant le monde. Qu’en dites-vous? Qu’est-ce qui déclenche votre écriture?

Ce n’est jamais pareil dans chaque projet d’écriture, parfois c’est une urgence totale, parfois c’est un sujet qui me hante depuis longtemps. Peu importe ce que c’est, il m’est primordial de l’exprimer, à travers la joie de créer de nouvelles métaphores pour l’exprimer. Ça part le plus souvent d’une émotion.

2 - Quels sont les auteurs qui vous ont marquée?

En poésie, j’aime beaucoup lire de la poésie québécoise contemporaine. Mais ceux qui ont définitivement influencé mon écriture : Pablo Neruda, Gaston Miron, Kim Doré. En roman, Annie Ernaux pour sa vérité et sa vision auto-socio-biographique de l’écriture de soi. En essai, Roland Barthes et Anne Dufourmantelle pour leur sensibilité. J’aime beaucoup les romans graphiques et la bande dessinée. Je pense à Alison Bechdel ou à Zviane et Iris par exemple, ainsi que des auteurs dit jeunesse, comme JK Rowling et Lewis Trondheim. 

3 - Quels auteurs francophones conseillez-vous à nos lecteurs de la Bibliothèque des Amériques?

Tous ceux que je viens de nommer mais je conseillerais surtout en poésie Joséphine Bacon, Roseline Lambert, Jean-Christophe Réhel, Catherine LalondeMarjolaine Beauchamp.

4 - Quelle œuvre de la littérature autochtone du Québec devrait être une lecture obligatoire pour tout le monde?

Un thé dans la toundra de Joséphine Bacon publié aux éditions Mémoire d’encrier.


Sur la poésie

5 - « Je suis innue, je suis québécoise, je suis une femme, une mère et je suis plein d’autres choses » avez-vous confié un jour. Avez-vous oublié d’ajouter je suis poétesse?

Non, car c’est toujours bizarre de se dire poète (j’aime mieux poète que poétesse qui sonne péjoratif selon plusieurs à cause de sa référence dans le dictionnaire). C’est toutes mes autres conditions qui me forment, et écrire de la poésie est une façon de les rendre.

6 - La culture et la symbolique de votre communauté innue sont sous-jacentes dans Béante (2012), Frayer (2015) et Chauffer le dehors (2019), vos trois recueils de poésies publiés aux éditions de Peuplade. Parlez-nous d’un élément de votre culture (ou d'une valeur) que vous respectez, qui vous est la plus chère et indispensable dans la culture occidentale d’aujourd’hui?

La simplicité. Dans ma culture la simplicité est omniprésente. Par le rire, par le partage, par la réalité pas compliquée de juste exister, d’avancer, aussi par la normalité de toute chose, de tout événement. Une grande philosophie se dresse dans les choses simples.

7 - La structure de Frayer est ordonnée par le cycle de vie de la ouananiche. Pour rappel, la ouananiche a un cycle de vie semblable à celui du saumon de l'Atlantique. Elle fraye elle aussi en rivière mais au lieu de retourner en mer, elle regagne son lac d'origine. Est-ce que ce poisson fait partie de la symbolique innu ou plutôt révèle votre imaginaire personnel ?

La ouananiche est un animal innu, c’est-à-dire qu’il est connu et pêché par les innus depuis des milliers d’années. Je crois que les ancêtres ont surement déjà réfléchi à sa migration et au lien que je fais. Mais dans mon cas, il fait référence à ma mythologie personnelle, celle de partir de ma communauté et d’y revenir différemment.

8 - Vous écrivez dans le premier vers de Frayer :

Nous autres en un mot : 
territoire.

Quel est votre rapport au territoire?

En écrivant ce recueil, je me suis rendu compte que mon territoire était vraiment plus grand que je le pensais, que mon identité ne se vivait pas seulement dans une réserve de 15 km carrés. Le territoire, c’est dans le fond, la boréalie, c’est la forêt qui m’entoure. C’est surtout la seule place où je me sens complètement à ma place et bien : quand je le parcours.

9 - Vous écrivez :

le p’tit cœur se referme comme un pissenlit à la noirceur
les mouettes font du surplace dans le vent
du mauvais bord de tes feux de forêt des mains 
sur mon cou

Ce vers comme bien des autres exprime la passion, l'amour, la souffrance amoureuse dans vos trois recueils. Représenter la souffrance amoureuse ou l'écrire permet-il de la transformer? Qu'en dites-vous?

J’écris la souffrance amoureuse car je crois que je l’ai, comme d’autres, beaucoup vécue et que ça fait partie de moi, ma réalité, ma sensibilité. L’écrire permet surtout de prendre la douleur comme un objet, le décrire, pour essayer de le sortir de soi, pour essayer de le voir autrement.

10 - Vous considérez-vous comme une écrivaine engagée?

Je crois qu’être membre des Premières Nations c’est continuer d’exister et de transmettre ses valeurs, en exprimant une résistance.


Biographie de Marie-Andrée Gill

Marie-Andrée Gill écrit de la poésie qui mélange ses identités innue et québécoise, dans un
langage décomplexé et hors du pouvoir dominant. Elle a publié Béante, Frayer et plus récemment Chauffer le dehors, aux éditions La Peuplade. Son écriture s’inscrit dans le langage du territoire, l’oralité et la notion d’amour décolonial.


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